C.Z. D’origine ashkénaze, j’ai été élevée dans un grand amour de la culture, de la philosophie. Je me sens héritière d’une ouverture, d’un puzzle de cultures, de l’esprit du Siècle des Lumières, la Haskala vécue par la communauté juive. C’est peut-être la raison pour laquelle je n’ai jamais voulu me spécialiser : j’aime chanter les lieder, le baroque, le contemporain (qui me structure et me ressource), la musique ottomane et judéo-espagnole (qui me rafraîchit), la musique hassidique, les chansons yiddish traditionnelles. La LS : La chanson judéo-espagnole, qu’évoque-t-elle pour toi, quelles sont tes motivations à chanter ce répertoire spécifique ? C.Z. Enfant, j’ai beaucoup voyagé pendant les vacances avec mes parents. La Yougoslavie ; l’Espagne... où j’ai entendu pour la première fois : A la una yo naci, chantée par des anarchistes, anciens de la guerre d’Espagne. Eux-mêmes la tenaient de leurs parents et l’interprétaient comme une marche. J’avais la chance d’avoir une jolie voix naturelle et les chemins de la vie m’ont amenée à étudier la musique. |
Ensuite, j’ai rencontré Annick Mevel, chanteuse très intéressée aussi par ce répertoire. En 1978 nous avons débuté à la Forge Royale à Paris. J’ai tout de suite été charmée par un texte toujours sensuel, jamais appuyé, avec des métaphores et de belles images. J’aimais cette chanson : Secretos quero descuvrir qui nous dit : “Je prends le ciel pour papier, les arbres comme plume pour écrire tout ce qui est mon désir.” Moi qui ai toujours été amoureuse des mots, je trouvais là une vocalité, une poésie, une sensualité, tout me rappelait ce bassin méditerranéen que j’avais parcouru durant mon enfance : les parfums, les odeurs. Angèle Saül, d’origine judéo-espagnole, m’a fait découvrir ses entregistrements d’amis âgés ayant gardé ce patrimoine bien vivant. J’ai alors continué mes recherches à la Phonothèque nationale, entendu une autre Angèle enregistrée à Salonique dans les années 30 : on pouvait reconnaître les modes orientaux, les improvisations et les mélismes (ornements, tout ce qui est autour de la note) qui font durer certaines phrases musicales. |
J’ai toujours été fascinée par la mémoire - de mes origines lituaniennes il ne reste rien - j’ai toujours eu à vivre avec une béance épouvantable, et c’est par le désir et la création qu’on peut lutter contre les pulsions de mort mises à jour par cette absence de mémoire. Je sentais que cette musique judéo-espagnole m’allait bien ! Je continue à travailler avec des spécialistes de la musique ottomane qui m’accompagnent à l’oud et au sas, instruments traditionnels. Pour moi c’est un bonheur, je peux perpétuer l’esprit de la tradition orale des chansons judéo-espagnoles qui autorisait beaucoup de liberté par l’improvisation. Tradition répandue dans tout le pourtour du bassin méditerranéen (cf. le gazel ). Je pense que la musique judéo-espagnole a un avenir : en tant qu’enseignante, je reçois des personnes qui veulent étudier ces chants. Depuis ses débuts, Caroline Zaidline n’a cessé de faire connaître les chants judéo-espagnols par ses concerts et son enseignement. Propos recueillis par Angèle Saül & Mireille Mazoyer-Saül |