Une comédie sur une communauté juive en voie de disparition ne semble pas si drôle en ce moment

Quand le cinéma français Le Dernier des Juifsou Le dernier des juifs, ouvert le mois dernier, il a suscité beaucoup d’attention. Peut-être en fera-t-il de même lorsque, rebaptisé Un gentil garçon juif, il ouvrira plus tard cette année de ce côté de l’Atlantique. Ne prêtez pas beaucoup d’attention à ce titre insensé, car bien que le film soit une comédie, il capte un moment douloureux et peut-être crucial dans l’histoire de la communauté juive française – un moment qui n’a rien de drôle.

Réalisé et co-écrit par Noé Debré, le film retrace quelques jours de la vie de son héros, Ruben Bellisha. Interprété par le nouveau venu Michael Zindel, Ruben est assez sympa, si par « gentil » vous entendez un nebbish. Ressemblant à un mélange de Charlie Chaplin et de Jacques Tati, Ruben est aussi professionnellement sans but que personnellement maladroit. Ses journées, toujours flirtant avec l’entropie, sont animées par ses voisins – pour la plupart issus de parents originaires de pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient – dans la banlieue marquée par les graffitis où ils ont été abandonnés moins par un destin inflexible que par un État indifférent. . Ils mènent une vie de désespoir pas si tranquille et, comme dans le cas du projet de Ruben de devenir un rappeur juif, ils ont plus qu’un soupçon d’aspiration chimérique.

Il est désespéré dans tous les emplois qu’il occupe, sauf pour un : s’occuper de sa mère Giselle, malade et confinée en appartement, magnifiquement interprétée par l’actrice chevronnée Agnès Jaoui. Ruben consacre sa vie à dissimuler à Giselle le monde changeant à l’extérieur de l’appartement rempli de bibelots. (Giselle a sans doute quitté l’Algérie, comme la plupart de ses compatriotes, lorsque le pays, après une guerre sanglante et amère, a obtenu son indépendance de la France en 1962.) Cachant la nouvelle de la fermeture de la dernière boucherie casher, cachant les graffitis antisémites peints par des cambrioleurs sur le mur de leur appartement, mentant à la fois sur l’électricien musulman qui refuse d’entrer dans l’appartement en voyant la mezouza à la porte, et sur les cours de krav maga que sa mère l’a supplié de suivre, Ruben se démène pour épargner à Giselle la vérité qu’ils sont , en fait, les derniers Juifs de leur quartier.

Si cela vous semble familier, c’est probablement parce que vous avez vu Au revoir lenin! La comédie douce-amère de Wolfgang Becker de 2003 dépeint les efforts d’un jeune homme pour cacher l’effondrement du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne à sa mère, une communiste engagée qui gisait dans le coma pendant ces événements mémorables. Dans les deux films, les efforts déployés par les fils, qui deviennent de plus en plus Rube Goldbergesques, sont aussi voués à l’échec que les mères sont vouées à mourir.

Le film de Debré partage un peu d’ADN avec « La Promesse à l’aube » de Romain Gary. Avec l’aimable autorisation du Film Movement

Le Dernier des juifs peut aussi avoir une consonance familière pour ceux qui ont lu Promesse à l’aube, les mémoires profondément émouvantes publiées en 1960 par le héros de guerre français, diplomate d’après-guerre et auteur primé Roman Kacew – alias Romain Gary. La différence cruciale dans le récit de Gary est que c’est la mère, et non le fils, qui cache la vérité. Immigrée juive russe clandestine en France, le plus grand amour de la mère, après son fils, est son idée de la France. Comme Giselle, Mina Kacew cache sa maladie en phase terminale à son fils, qui avait quitté la France en 1940 pour combattre aux côtés des Français Libres. En effet, elle le cache encore mieux que Giselle en écrivant et en stockant des dizaines de lettres, qu’elle s’arrange ensuite pour faire envoyer régulièrement à son fils après sa mort.

Il y a d’autres œuvres françaises auxquelles le film de Debré fait un clin d’œil, comme le roman d’André Schwarz-Bart Le Dernier des Justesou Le dernier des justes. Publié l’année précédant celui de Gary Promesse à l’aubele roman autobiographique de Schwarz-Bart, lauréat du prestigieux prix Goncourt, raconte l’histoire de la famille Levy, qui à chaque nouvelle génération offre au monde un Tsadik, ou homme sage. Si vous plissez les yeux, vous verrez peut-être Ruben comme un Tsadik. Son doux sens de l’humour et, plus important encore, son profond sens de l’humanité transparaissent souvent à l’écran. Mais une fois que vous écarquillez les yeux, vous voyez que le personnage de Ruben est trop léger, son histoire trop mince pour supporter plus qu’une comparaison passagère avec les œuvres de Gary ou de Schwarz-Bart.

Mais l’histoire de Debré reflète un défi différent, mais tout aussi redoutable, auquel sont désormais confrontés les Juifs français. À l’image du quartier représenté dans le film – qui se trouve être la banlieue parisienne de Noisy-le-Sec – les Juifs français qui ont longtemps vécu dans certaines banlieues ont, depuis le début des années 2000, fait leurs valises pour s’installer ailleurs. Cet ailleurs, ce sont souvent d’autres villes de France – ce que l’on appelle parfois « l’aliya interne » – mais aussi d’autres villes et villages d’Israël. Parce que les données du recensement excluent les catégories de race et de religion, les statistiques démographiques sont fragiles, mais inquiétantes. Suite aux émeutes de banlieue de 2015, au cours desquelles les magasins et les synagogues juifs ont souvent été pris pour cible, quelque 50 000 à 60 000 Juifs ont quitté le « 93 » ou «quatre-vingt-treize», le numéro administratif officiel de la Seine-Saint Denis, la commune située juste au nord de Paris.

Il est trop tôt pour dire si le massacre du Hamas et la réponse militaire israélienne, qui ont tous deux déclenché des niveaux sans précédent d’actes antisémites en France, accéléreront le processus d’aliya réelle, et non interne. Dans une interview, Debré s’est déclaré optimiste. « Je crois qu’en dehors de certains mouvements marginaux, une majorité de Français comprend que ce combat [against antisemitism] c’est aussi leur combat.

Mais si vous êtes pessimiste, vous pourriez conclure que l’avenir, comme la mère juive en Le dernier des juifspourrait nous cacher une fin plus tragique.

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