À la mi-mai, la synagogue de Rouen, dans le nord de la France, a été le théâtre d'une tentative d'incendie criminel. L'incendie a été maîtrisé avant qu'il ne se propage, tandis que le suspect armé, un jeune Algérien, a été abattu par la police. Le maire de la ville a fait remarquer que l'attaque visait non seulement la communauté juive, mais toute la ville. « Nous sommes tous sous le choc », a-t-il déclaré. déclaré.
Le week-end dernier, le même sentiment a été exprimé par des élus du sud de la France. Samedi matin, un autre jeune Algérien a fait exploser une petite bombe devant la synagogue de La Grande Motte, une station balnéaire et une ville de retraite sur la côte méditerranéenne. L'explosion a incendié deux voitures garées juste devant la synagogue, mais n'a pas atteint le bâtiment, où les services devaient commencer dans 30 minutes. Quelques heures plus tard, le Premier ministre par intérim Gabriel Attal était arrivé sur les lieux. Entouré de responsables publics portant l'écharpe tricolore de la République française, Attal a lancé avec force annoncé qu’« une attaque contre un Juif français est une attaque contre tous les Français ».
Le point de vue d’Attal est juste dans une certaine mesure. Ces incidents antisémites et d’autres qui leur sont liés – près de 900 se sont produits depuis janvier, ce qui éclipse les 304 incidents survenus au cours de la même période en 2023 – visent indirectement les valeurs laïques et les institutions démocratiques de la France républicaine. Mais le point de vue du Premier ministre ne va pas assez loin non plus. Si ses déclarations sont sincères et fortes, elles ne suffisent pas aux nombreux juifs français qui, comme le jeune Parisien interrogé par un journaliste, avoué que lorsqu’il « va à la synagogue, c’est avec un nœud à l’estomac ».
Mais la plupart des Français ne prennent pas ces attaques – bon, comment dire ? – ils ne les prennent pas. personnellementLa plupart des Français vont à l’église, ou d’ailleurs chez le boucher ou le boulanger, sans avoir l’estomac noué.
Mais la peur de la mort n'est pas un phénomène récent chez les juifs français. L'arrestation du suspect de l'attentat terroriste de samedi à Nîmes, à quelques encablures de La Grande-Motte, rappelle que les communautés juives de province sont une part essentielle de l'histoire et de la structure du judaïsme français. De manière révélatrice, c'est à Pissevin, le quartier bien nommé à la limite de Nîmes où des tours délabrées et lugubres s'élèvent vers le ciel, que le suspect a été découvert par la police qui, après l'avoir blessé lors d'un échange de coups de feu, l'a arrêté et emmené à l'hôpital.
Les coups de feu ne sont pas rares à Pissevin. Ce quartier lugubre, presque entièrement peuplé d'immigrés, légaux et illégaux, venus d'Afrique du Nord, est devenu un champ de bataille entre gangs rivaux de trafiquants de drogue. Il y a presque un an, un garçon de 14 ans était blessé par une balle perdue ; le lendemain, un enfant de 10 ans était tué par une autre balle.
Tout comme l’évolution démographique des villes américaines au cours de la seconde moitié du XXe siècleème Au début du siècle, Pissevin abritait à l'origine un groupe d'immigrants différent. Avec la fin de la guerre coloniale française en Algérie en 1962, près d'un million de Français algériens – connus sous le nom de pieds-noirs — quittèrent leurs foyers et s’installèrent en France, principalement le long de la côte méditerranéenne. Plus de 120 000 Juifs séfarades, dont la présence dans cette partie du territoire nord-africain, contrairement à celle des colons français plus récents, remontait à plusieurs siècles, se joignirent à cet exode. Eux aussi se réinstallèrent dans des banlieues construites à la hâte, comme le quartier Pissevin de Nîmes, qui étaient moins des maisons à chérir que des centres d’accueil pour ce raz-de-marée d’humanité.
Dans le cas de Nîmes, il existait déjà une petite mais importante communauté juive de plusieurs centaines de personnes. Les racines de beaucoup de ces familles remontaient au Moyen Âge, où leurs ancêtres vivaient sous la protection du pape – ou plutôt de l’un des papes – pendant la période du schisme pontifical. Parmi les membres les plus illustres de cette communauté, on compte Bernard Lazare, le poète anarchiste qui devint l’un des principaux défenseurs d’Alfred Dreyfus, et Adolphe Crémieux, le ministre de la Justice qui, en 1870, rédigea le projet de loi qui transforma les juifs algériens en citoyens français.
Malheureusement, la loi Crémieux n'a pas étendu la citoyenneté aux populations arabes et berbères de l'Algérie française. Elle est ainsi devenue l'un des nombreux facteurs qui ont finalement conduit à la guerre d'indépendance algérienne et au grand exode des populations. pieds noirsy compris la communauté juive séfarade, en France. Des localités comme Pissevin étaient en fait des relais. Les Juifs séfarades récemment arrivés ne restèrent dans ces banlieues, mal construites et mal desservies par les transports publics, que jusqu'à ce qu'ils aient les moyens de déménager vers des quartiers moins isolés et plus intégrés. Leur place fut prise par une nouvelle vague d'immigrants, majoritairement musulmans et originaires pour la plupart de la région du Maghreb, en Afrique, attirés par la perspective d'une vie meilleure.
Tout aussi tragiquement, la promesse d’une telle vie ne s’est jamais matérialisée pour les descendants de ces immigrés. Plus de 70 % des habitants de Pissevin vivent sous le seuil de pauvreté, un fait brutal et désespérant qui explique en grande partie pourquoi les gangs de trafiquants et les sectes islamistes radicales prospèrent ici. Les motivations d’El Hussein K., le suspect de l’attaque de la synagogue, semblent être un croisement de ces deux tendances sombres. Dans une interview accordée peu après l’attaque, le recteur de la mosquée de Pissevin a déclaré que le suspect, qui arrivait souvent sous l’influence de drogues, avait été expulsé du bâtiment deux ans plus tôt.
Il apparaît néanmoins que les attaques contre les synagogues de Rouen et de La Grande-Motte marquent, comme le titre d'un Le Monde « Un tournant » dans la montée apparemment inexorable des actes antisémites en France. L’objectif n’est plus de harceler ou de menacer les juifs français, annonce le journal. observémais plutôt de les « tuer ». Cela pourrait bien conduire à un autre tournant tragique : un nouvel exode des Juifs français, cette fois vers Israël.