Les juifs américains et la crise du sionisme

La politique de Benjamin Netanyahou, au pouvoir depuis 2009, avec une coalition de droite, et sa politique d’expansion des colonies juives dans les territoires occupés provoquent, aux Etats Unis, un vif débat Différentes voix au sein de la communauté juive américaine se sont levées pour critiquer la politique d’Israël, vis-à-vis des Palestiniens notamment ; parmi eux Peter Beinart.

Dans the Crisis of Zionism, Beinart analyse les dérives anti-démocratiques d’Israël envers les Palestiniens, et l’indifférence grandissante de la communauté juive américaine attachée aux valeurs libérales et démocratiques de son pays. Ces propos ont provoqué un tollé chez les intellectuels juifs américains, de gauche comme de droite – les critiques étant bien plus favorables en dehors de sa « communauté ».

« The Failure of the American Jewish Establishment »

Tout commence par la publication en Août 2010 dans le New York Review of Books d’un essai déjà polémique intitulé “L’échec des institutions juives américaines” (The Failure of the American Jewish Establishment): une critique du sionisme américain et de son positionnement à l’égard d’Israël, qui a eu beaucoup d’échos parmi les intellectuels juifs américains, notamment ceux se démarquant de Netanyahou .

Selon lui, les jeunes juifs américains s’intéressent de moins en moins au sort d’Israël à cause de sa politique vis-à-vis des Palestiniens, dans les territoires occupés et dans la bande de Gaza. Pour raviver cet esprit sioniste chez les jeunes générations, les institutions juives s’appuyaient sur les “valeurs de la culture politique juive américaine” à savoir la croyance en un débat ouvert, un usage limité de la force militaire, et le respect des droits de l’homme – même, et surtout quand il s’agit d’Israël.

« Le grand challenge des juifs américains aujourd’hui est de défendre le sionisme libéral aux Etats-Unis pour pouvoir sauver le sionisme libéral en Israël. » En Israël, le sionisme « libéral-démocrate » a ses défenseurs mais aucun poids politique devant l’influence grandissante des orthodoxes et des colons au sein de la coalition de Netanyahou.

Beinart dénonce l’inertie de la communauté juive américaine devant les dérives d’Apartheid qui menacent la société et la démocratie israélienne. Non seulement elle manque à critiquer les actions du gouvernement mais empêche souvent d’autres organisations (humanitaires, de défense des Droits de l’homme) de le faire en invoquant un parti pris anti-israélien.

Pour Peter Beinart, le language d’un sionisme libéral, prônant les droits de l’homme, la citoyenneté égale et les compromis territoriaux, de la part des institutions juives américaines est aujourd’hui dépourvu de sens. Ces sionistes américains se pensent  libéraux, ils votent démocratique, considèrent que les Palestiniens sont trahis par des leaders incompétents, et ils sont laics. Ils ne veulent pas que des organisations  juives critiquent Israel et refusent à la fois d’être les agents de la droite israélienne.

Le risque pour le sionisme américain aujourd’hui est qu’il soit dominé par les orthodoxes, dont la dévotion a Israël éloignerait les juifs laics et libéraux, le rendant insensible au sort des Palestiniens, et rendant une part grandissante des juifs américains insensibles au sort d’Israël.

The Crisis of Zionism

La parution de l’article en juin 2010 a eu beaucoup d’échos au sein de la communauté juive américaine notamment à l’encontre de leurs institutions et de leurs leaders. Beinart est rentré en leader dans le champ intellectuel juif américain, soutenu par les libéraux de gauche et de nombreuses associations de jeunes sionistes (J Street).

Son essai paru en mars dernier au titre évocateur The Crisis of Zionism a été critiqué, même vilipendé par l’ensemble de la communauté juive, à l’exception de quelques noms. Le livre s’intéresse davantage à la politique d’Israël et à ses valeurs démocratiques qui seraient remises en cause par la colonisation de territoires palestiniens. La politique de l’Etat hébreu est aujourd’hui dévouée à la question des colonies et à son expansion, et comme le confirme David Shulman dans un article sur Beinart publié dans le New York Review of Books : « Chaque jour apporte son lot de nouveaux schémas pour légaliser les bastions existants et illégaux dans les territoires et faciliter l’appropriation des terres palestiniennes ». Cette politique interdit tout projet de « Two State solution » qui donnerait aux Palestiniens un Etat sur les frontières de 1967.

Beinart défend la création d’un Etat palestinien dans les territoires occupés et la bande de Gaza comme l’unique alternative pour restaurer la démocratie dans l’Etat hébreu. Pour ce faire, la communauté juive américaine doit se mobiliser et user de son influence; l’auteur suggère  notamment un boycott des produits israéliens venant des territoires occupés – proposition qui s’est attirée les foudres des sionistes de droite comme de gauche. Zengerie raconte au blog Politico que l’article sur Beinart, censé accompagner le futur succès de son livre, devait raconter son ascension et non pas sa disgrâce.

Le paria de la cause sioniste

Depuis sa publication en mars dernier, le livre domine les débats politiques des juifs américains dans un sens que son auteur n’avait pas envisagé : polémique et critique. Il s’attendait bien à des attaques de ses confrères conservateurs mais pas de sa propre famille, que Zengerle appelle the « community of center-left American Jewish writer-intellectual ». Pour Jonathan Rosen du New York Times Book Review, Beinart est trop manichéen, et s’il parle de « Crise en Israël » et de « crise en Amérique » mais manque de parler de « crise la société palestinienne » ou de « crise de l’Islam »… Alana Newhouse parle de Jérémiade dans le Washington Post décrivant l’essai comme « a political stump speech for an attractive young candidate who is seeking the job of spokesman for liberal American Jews ». Enfin Jeffrey Goldberg, considéré comme le journaliste juif le plus influent aux USA critique lui la supériorité morale qu’adopte Breinart, l’invitant à passer du temps dans la bande de Gaza pour se rendre compte de la situation sur le terrain, lui qui y a vécu pendant près de quinze ans.

Jason Zengerle qui fut un ancien collaborateur de Beinart au magazine pro israélien The New Republic résume bien la situation: « Beinarts critics on the center left don’t actually seem to disagree with him much. His biggest sin has been not choosing to talk about Israël the way they expect Israël to be talked about. »

Né aux Etats unis de parents juifs sud africains, Beinart a étudié l’histoire et la science politique à Yale puis il est devenu le disciple de Martin Peretz, célèbre intellectuel juif américain, professeur a Harvard, et surtout le fondateur du magazine pro-israélien The New Republic, dont il deviendra le rédacteur en chef entre 1999 et 2006. Durant ces années il va soutenir la guerre en Irak puis la critiquer et enfin la condamner dans un livre paru en 2010, The Icarus Syndrome: A History of American Hubris. Entre temps, il s’est désolidarisé publiquement de son mentor, Peretz et de ses prises de positions extrémistes notamment envers les Arabes et les Palestiniens.

Il est aujourd’hui professeur à l’université publique de New York, et écrit pour des revues aussi prestigieuses que le Time, le New York Times ou le New York Review of Books. Zengelie analyse le parcours de Beinart comme successful et chaotique, en ce sens qu’il est un penseur et un écrivain talentueux mais ne dispose toujours pas armes nécessaires pour s’imposer comme un intellectuel.  Il semblerait que Beinart ait bien voulu s’imposer comme tel avec la publication de cet essai et que sa communauté intellectuelle (juive libérale) lui ait refusé l’accès.

Trop jeune et trop arrogant et peut être aussi et surtout trop audacieux. Écrire un manifeste sioniste critique vis-à-vis d’Israël est un projet, semble-t-il trop ambitieux pour ce jeune professeur de quarante ans; d’où les critiques parfois faciles de ses confrères. Beinart est un jeune intellectuel qui met ses valeurs, libérales et démocratiques au service d’une cause, le sionisme. Il ne s’agit pas de la grandeur d’une idée mais d’une situation à faire évoluer, celle d’Israël et des Palestiniens. Lors d’un récent meeting organisé par la maison Blanche réunissant les pontes du Foreign Policy journalism, Beinart, déjà dans la tourmente à cette époque, figurait parmi les invités. Le président lui aurait adressé ces mots : « Hang in here » … continue…

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