Serons-nous jamais pardonnés pour l’Holocauste ?

La question est rhétorique. Quand les Juifs seront-ils pardonnés de l’Holocauste ? Jamais.

La vérité psychologique choquante est que l’homme rejette le fardeau de la culpabilité en renversant les rôles de ceux à qui nous avons fait du tort et en nous présentant comme les victimes de leurs souffrances. L’historien romain Tacite le précise. « Cela fait partie de la vie humaine », écrit-il, « de haïr l’homme que vous avez blessé ». Ceux à qui nous faisons du mal, nous les blâmons – mobilisant l’aversion et même la haine afin de justifier, après coup, le mal que nous avons fait. D’où il doit s’ensuivre que ceux qui sont le plus lésés, comme dans le cas de la Shoah, sont les plus blâmés.

La négation de l’Holocauste, sous toutes ses formes, obéit à ce schéma. Pour avoir imposé le mensonge des 6 millions sur le monde, les Juifs sont accusés d’aggraver la méchanceté qui était la juste cause de l’Holocauste – si seulement cela s’était produit – en premier lieu. En raison de la façon dont les Juifs exploitent cyniquement l’Holocauste pour servir leurs objectifs politiques et financiers aujourd’hui, est-il démontré qu’ils méritent ce qu’ils ont subi hier ou, plutôt, puisqu’il n’y a pas eu d’Holocauste, ce qu’ils auraient dû subir hier.

La terrible logique qui assure — qu’un tort irréparable ne sera jamais pardonné — doit-elle induire en nous une vigilance tout aussi terrible : au lieu de ne jamais oublier, faut-il que notre devise soit ne jamais mentionner ? Le silence est-il la seule précaution que nous puissions prendre pour qu’il ne se reproduise pas ?

La création de l’État d’Israël était censée régler cette question pour nous. À bien des égards, c’est le cas, et à bien des égards, ce n’est toujours pas le cas. Pour certains juifs, c’est précisément d’Israël qu’il faut se taire. Un tel refus de sympathie pour les victimes de l’Holocauste, fondé sur ce ressassement moderne de la diffamation du Juif cupide et sans cœur, est un blâme rétrospectif en action.

La question « Quand l’Holocauste sera-t-il pardonné aux Juifs ? » et sa réponse implicite « jamais » ont des implications politiques assez justes, mais il y a une importante leçon non politique à en tirer. Si ce n’est pas pour quelque chose qu’ils ont fait, mais pour ce qui leur a été fait, que les Juifs ne peuvent pas être pardonnés, alors c’est en vain que les Juifs s’efforcent de changer la façon dont le monde les voit. En vain qu’ils essaient d’améliorer leur image de relations publiques, d’adopter un comportement plus doux ou de baisser la tête dans l’embarras.

Il est vain de supposer que nous pouvons ainsi défaire la logique tordue d’être non pardonné pour l’Holocauste, non pardonné pour ce que nous sommes perçus comme, non pardonné pour ce qui nous a été infligé – une perpétuité d’être non pardonné, qui, quel que soit son effet politique, a une cause psychologique, et ne disparaîtrait donc pas demain si Israël donnait à ses voisins chaque brin d’herbe contesté, et si chaque Juif riche se transformait du jour au lendemain en pauvre. Car n’oubliez pas qu’être une lumière pour les nations encourt lui-même l’accusation d’arrogance spirituelle.

Dans une tournure sophistique, proche de celle consistant à tenir les Juifs responsables de ce qui leur a été fait, l’antisioniste réfute la sensibilité juive à l’insulte, même en l’absence de son expression, et ce faisant, se dépeint lui-même victime d’un crime qui a pas été commis. Ne voulant pas être considéré ou se sentir antisémite, il devient antisémite au point qu’il ne peut pas pardonner aux Juifs de troubler sa conscience et de lui faire se demander s’il est antisémite ce qu’il est.

Si nous devons parler de tactique, alors accuser régulièrement vos détracteurs d’employer des tactiques illégitimes est une tactique courante et illégitime en soi. Celui-ci en particulier – que, comme toute critique de l’antisionisme est motivée par la mauvaise foi, il ne peut y avoir équitable la critique de l’antisionisme – est largement répandue. Le syllogisme va ainsi :

Tous les critiques d’Israël ne sont pas des antisémites.

Je suis un critique d’Israël.

Je ne suis donc pas antisémite.

C’est ainsi que l’antisionisme est devenu un espace inviolable. Remettez-le en question et vous êtes réputé avoir crié à l’antisémitisme (cela, que vous l’ayez ou non), et puisque crier à l’antisémitisme est une faute, aucune position à partir de laquelle il est rationnel pour la question de l’antisionisme reste permise. Par la logique infernale de ce cercle magique, l’antisioniste est doublement indemnisé, d’une part contre toute critique de sa position quelle qu’elle soit, puisque le statut d’une telle critique a été réduit à celui de « tactique », et d’autre part contre l’accusation originelle d’anti-sioniste. – Le sémitisme, que l’antisionisme annule.

Je ne prétends pas moi-même que l’antisionisme est une méthode pour contourner la haine des juifs tout en s’y adonnant, mais si cela avait été l’intention, cela n’aurait pas pu être mieux planifié.

La critique d’Israël fonctionne comme une sorte de bain antiseptique, ou mikveh – peu importe à quel point vous êtes embourbé dans les impuretés de l’antisémitisme lorsque vous entrez, vous en sortez aussi parfumé qu’une mariée attendant son fiancé.

La négation de l’Holocauste était un exercice prototype dans ce domaine. Une fois que l’on pourrait démontrer que l’Holocauste n’a pas eu lieu – un crime qui n’a jamais existé – alors personne ne pourrait être accusé de ne pas avoir pardonné aux Juifs pour cela. D’un seul coup, la victime devenait l’auteur, et les Juifs pouvaient continuer à être accusés, comme auparavant, du crime supplémentaire de fabrication.

Et voir les Juifs comme les premiers initiateurs à la fois du christianisme et du socialisme – ces explosions dans la pensée humaine, appelez-les des libérations sans précédent ou des catastrophes sans précédent – c’est accepter à quel point, dans la manière de faire perdre le sommeil à l’humanité, nous sommes responsables. Ne pas être pardonné remonte à loin. Alors pourrions-nous dire que cela commence – non pas avec notre meurtre de Christ, c’est tout à fait trop simple – mais avec notre conception de lui ? Freud a émis l’hypothèse que ce sont les pays d’Europe qui ont été les derniers à renoncer à ce qu’il a appelé le « polythéisme barbare » – les adorateurs des arbres de Lituanie, par exemple – qui ont le plus ardemment embrassé la haine des Juifs des années 1930 et 1940. Ils étaient, suggère Freud, nostalgiques de leur paganisme. « Leur haine des juifs, écrit-il, était au fond une haine des chrétiens ».

La conséquence de cela pour les Juifs est que nous finissons par être la viande dans le sandwich, responsable du paganisme et responsable du christianisme, selon la direction dans laquelle le vent souffle, nous obligeant à nous demander : certains cas d’antisémitisme chrétien ne sont-ils pas simplement des expressions de l’insatisfaction chrétienne à l’égard du christianisme lui-même ?

Autrefois, une telle hostilité pouvait s’exprimer ouvertement. Voyons les Juifs dans toute leur misère, disait Augustin, afin que nous puissions nous réjouir de ce qu’ils sont devenus. Des temps plus libéraux ont développé des stratégies plus sournoises de calomnie. Peu d’intellectuels ou d’ecclésiastiques occidentaux peuvent aujourd’hui se permettre de claironner leur antisémitisme, ou même s’avouer que leur conscience nourrit de telles émotions. Mais la nécessité logique de l’alibi demeure. Alors maintenant, on se méfie du Juif, non pour ce qu’il est, mais pour l’antisémitisme dont il est la cause. Et aucun Juif n’est plus la cause de l’antisémitisme que le Juif qui parle d’antisémitisme.

Les Juifs sont considérés comme ayant renoncé à leur droit de posséder ne serait-ce qu’une partie de la définition de l’antisémitisme, ou de juger dans quelle mesure ils en sont, ou en ont jamais été, les victimes. En raison de leur incapacité à tirer les leçons de l’Holocauste et à les mettre en œuvre en Israël – ou en fait dans toutes les autres parties du monde, ils continuent de comploter, de faire pression et d’exploiter – ils ont annulé tout droit aux décences habituelles, sans parler de la légalités usuelles, en matière de discrimination raciale et d’incitation.

Ainsi la honte de penser des pensées antisémites a-t-elle été enlevée des épaules des libéraux. Puisqu’il ne peut y avoir d’antisémitisme – les Juifs étant sortis du cercle de l’offense dans lequel les minorités peuvent être considérées comme ayant été offensées – il n’y a pas d’accusation d’antisémitisme à répondre. La porte est maintenant grande ouverte pour ceux qui croient vraiment qu’ils n’ont rien dans leur cœur mais aiment se promener sans ruse jusqu’à la haine.

Howard Jacobson, lauréat du prix Man Booker et auteur de romans tels que « Kalooki Nights » et « The Finkler Question », a prononcé le discours de Jérusalem de cette année au Centre mondial B’Nai Brith à Jérusalem, dont cet essai a été adapté.

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