Jusqu'au début de dimanche après-midi, j'avais prévu de commencer ma chronique par les répliques emblématiques du film de Mathieu Kassovitz de 1995 La Haineou « Haine ». Peut-être les connaissez-vous : « Vous avez entendu parler de ce type qui est tombé d'un gratte-ciel ? En descendant d'un étage à l'autre, il n'arrêtait pas de se dire pour se rassurer : Jusqu'ici tout va bien… jusqu'ici tout va bien… jusqu'ici tout va bien. La façon dont tu tombes n'a pas d'importance. C'est la façon dont tu atterris qui compte ! »
Pourquoi ce moment du film ? Car jusqu'à dimanche après-midi, j'étais convaincu, comme presque tous les autres observateurs électoraux, que le Rassemblement national d'extrême droite arriverait en tête au second tour des élections législatives françaises. À mon avis, les répliques du film reflétaient ce qui s'était passé en France au cours des deux dernières décennies. Alors que le Rassemblement national, dont les fondations ont été construites par des trolls antisémites, des collaborateurs nazis et des idéologues racistes, poursuivait son ascension apparemment irrésistible, la classe politique française se rassurait, comme un type sur le point de s'éclabousser sur un trottoir, que jusqu'ici, tout va bien: Jusqu'ici, tout va bien.
Mais une fois les résultats préliminaires des élections annoncés dimanche soir en France, les lois de la gravité physique et politique semblaient suspendues. Le Nouveau Front populaire, la coalition de gauche constituée en grande hâte le mois dernier, pour bloquer la voie au pouvoir du Rassemblement national — a réalisé ce que personne n’avait prévu : une première place avec entre 172 et 192 députés en lice pour l’Assemblée nationale. De plus, til FNP dehorsdistanced Le Parti de la Renaissance du président Emmanuel Macron devrait remporter entre 150 et 170 sièges, un résultat encore surprenant, puisque les sondeurs n'avaient pas réussi à trouver le pouls du corps inerte du parti.
Mais la grande surprise, et source de grandes joies, est la troisième place du Rassemblement national. Le parti de Marine Le Pen, rebaptisé Rassemblement national après avoir hérité du Front national de son père Jean-Marie Le Pen, totalisera entre 132 et 150 sièges. Après sa victoire éclatante au premier tour de l’élection la semaine dernière, le parti semblait voué à remporter, sinon la majorité absolue, du moins une majorité relative convaincante. La question n’était pas de savoir si le Rassemblement national gagnerait, mais si son président, Jordan Bardella, accepterait de former un gouvernement minoritaire.
Mais ce retournement de situation, s’il est réjouissant, est aussi l’occasion de poser des questions différentes, mais tout aussi urgentes. Bien que Macron n’ait pas encore fait d’annonce publique, la tradition républicaine veut que le président demande au chef du parti qui compte le plus grand nombre de députés de former un gouvernement. Mais cela soulève la question la plus immédiate, et peut-être la plus difficile à résoudre : qui, en fait, est le chef du gouvernement ? est le leader du Nouveau Front Populaire ?
La réponse actuelle est que personne ne le sait.
Rappelons que cette coalition est la même coalition, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, qui s'est avérée aussi ingérable que son nom, s'effondrant à peine un an après sa formation en 2022. Il y avait des différences politiques substantielles entre les quatre partis qui formaient l'union – socialistes, écologistes, communistes et La France insoumiseou la France rebelle — mais les différences stylistiques étaient encore plus significatives. Contrairement aux rangs en cravate et en veste du Rassemblement national — qui donnaient l'impression d'être les adultes dans la salle — les soi-disant les insoumis Il s'habillait de façon décontractée et se comportait souvent de manière perturbatrice à l'Assemblée nationale, préférant ridiculiser le système parlementaire plutôt que le réformer.
La personnalité du chef de file du NPF, Jean-Luc Mélenchon, n'a pas été moins toxique pour les électeurs traditionnels de centre-gauche. Il ne manquait jamais une occasion de faire des déclarations provocatrices. Après le massacre du Hamas, son refus de dénoncer clairement l'acte et de décrire le Hamas comme une organisation terroriste a été la cause immédiate de la désintégration de la coalition. Bien que Mélenchon ait juré de ne pas briguer le poste de Premier ministre – une promesse faite sous la contrainte des autres partis – il a également juré que le prochain Premier ministre, quel qu'il soit, devra être issu des rangs de son parti. Dans le même temps, les dirigeants des autres partis – y compris Raphaël Glucksmann, qui a joué un rôle central dans la création du NPF – jurent avec autant de véhémence que ce ne sera pas le cas.
Et alors ? Comme l’a observé Berthold Brecht, « une fois que les souffrances des montagnes sont derrière nous, les souffrances des plaines sont devant nous ». Si le NPF parvient à escalader la montagne posée par Mélenchon, il lui faudra alors naviguer dans les plaines de la gouvernance. Le gouvernement de la Cinquième République est un système hybride, un système parlementaire dans lequel le Premier ministre dirige le pays tandis que le président règne sur lui. De plus, c’est un système qui n’a connu que trois périodes de « cohabitation » – lorsque le président et le Premier ministre représentent des partis différents – et n’a jamais connu de gouvernement minoritaire enchaîné à un président qui s’oppose à son existence même et à une législature où il n’est que l’un des trois blocs idéologiques mutuellement hostiles.
Et ce n’est qu’un début. Mais le fait que la France se trouve à ce point nous rappelle que les partis inspirés par la malveillance politique et les fautes éthiques ne sont pas destinés à prendre le pouvoir. Tous ceux qui sont attachés aux idéaux révolutionnaires de liberté, d’égalité et de fraternité de la France et qui retiennent leur souffle ont le droit de pousser un soupir de soulagement, de prendre un moment pour tirer les leçons de ce moment.