A l’occasion
de la parution d’un travail
de MariaVassilikou1, dont il vient de prendre connaissance, Bernard Pierron
nous remet en mémoire cet épisode douloureux datant de 1931, nous en exposant le contexte. L’histoire de la communauté juive de la Grèce moderne de 1830 jusqu’à 1939, c’est à dire sur plus d’un siècle, est marquée par deux pogromes majeurs. Le premier, celui de 1891 à Corfou, eut des répercussions internationales. Il dura plus d’un mois. Le second, celui de Campbell en 1931, ne dura qu’une seule nuit. S’il ne souleva pas le même tollé de la part des Puissances, il n’en reste pas moins un jalon important dans la montée de l’antisémitisme entre les deux guerres en Grèce. Un pogrome n’est pas un phénomène à génération spontanée, même si dans le cas de celui de Campbell en est absent le caractère de soulèvement organisé propre aux pogromes russes. C’est un événement qui implique une fermentation de haine et d’intolérance. L’étude des deux cas le prouve : le chercheur attentif découvre, à la lecture de la presse, ces manifestations larvées d’un malaise antisémite qui un beau jour, parce que l’abcès doit crever et que le prétexte semble enfin trouvé, prennent la forme d’un soulèvement violent et meurtrier. Maria Vassilikou fait partie de ces chercheurs qui, niant au pogrome tout caractère de contingence, en fait à juste titre le signe d’un trouble profond, le symptôme d’une grave maladie sociale. L’étude fouillée qu’elle a publiée sur le pogrome de Campbell est là pour le prouver. Il faut offrir ici une compte rendu succinct de ce lamentable événement qui survint dans la soirée du 29 juin 1931. Campbell était le nom d’un quartier salonicien de baraquements édifiés pour 200 familles juives expropriées à la suite des travaux de reconstruction de la ville après l’incendie de 1917. Vers dix heures du soir, 2000 personnes environ, venant apparemment de faubourgs habités par des Grecs réfugiés d’Asie Mineure décidèrent d’incendier le quartier Campbell, ce qu’elles parvinrent à faire en dépit de la présence de l’armée qui était chargée de surveiller la zone. | Il y eut de nombreux blessés et un mort : un boulanger chrétien qui avait voulu prendre la défense de ses concitoyens juifs. L’Histoire est jalonnée de tant d’horreurs que cet incident fort mal connu pourrait presque passer inaperçu si l’étude de Maria Vassilikou ne nous révélait l’ampleur du drame et sa signification dans le contexte écono-mique, social et idéologique des années trente, alors que se produit la montée du fascisme qui débouchera sur le génocide de la seconde guerre mondiale, et que le monde est secoué par une grave crise économique. S’appuyant sur une bibliographie extrêmement riche comportant des ouvrages contemporains mais aussi de nombreux écrits de l’époque et surtout la presse nationale et régionale, Maria Vassilikou nous démontre que le soulèvement de Campbell s’insère dans un ensemble d’événements qui l’expliquent. En partant des relations intercom-munautaires sous l’occupation ottomane, en élucidant les répercussions du grand incendie de 1917 sur l’avenir de la ville en général mais tout particulièrement sur celui de la communauté juive salonicienne, en analysant le rôle que jouèrent nombre de juifs dans le développement des mouvements ouvriers qui, dans l’imaginaire bourgeois de l’époque, représentaient avant tout la menace bolchévique, en décrivant l’impact qu’eut sur l’activité économique l’arrivée de cent mille réfugiés orthodoxes d’Asie Mineure à Salonique, la paupérisation de ces masses déracinées qui devenaient ainsi plus facilement la proie des idéologies d’extrême- droite dont l’organisation des “Trois Epsilon” se faisait le fer de lance en Grèce avec l’appui d’une certaine presse et de certains politiciens, Maria Vassilikou donne au pogrome de Campbell qui ne dura que quelques heures toute l’importance qui lui revient : aujourd’hui, avec le recul que nous possédons vis-à-vis de cette période, il nous apparaît clairement comme un signal d’alarme et, ainsi exposé, il explique les multiples drames postérieurs que va connaître la communauté juive de Salonique. Malheureusement, bien des Grecs de l’époque ne semblent pas avoir compris ce qu’impliquait cet événement. | Les accusés, qui furent jugés l’année suivante à Verria, et parmi lesquels figurait un journaliste salonicien, des chefs de groupuscules fascisants, mais aussi quelques-uns des meneurs des incendiaires, Grecs d’Asie Mineure, furent acquittés. Quatre jours après la clôture du procès, alors que la presse juive salonicienne ne pouvait que s’attrister de la cécité des jurés populaires (et chrétiens), le journaliste acquitté se réjouissait de sa victoire en désignant une nouvelle fois à la vindicte populaire tous les “mauvais Juifs” , des sionistes évidemment, qui étaient les seuls responsables de la dégradation des relations entre leurs deux communautés3. Bernard Pierron
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