Au cours de ces vingt dernières années en Grèce ont paru nombre d’ouvrages concernant l’histoire et la culture des Juifs hellènes. Après l’anéantissement presque total du Judaïsme grec par les nazis, la multiplication des études et témoignages le concernant est assurément un phénomène positif et le nombre de publications suffit pour montrer le désir de sauver de l’oubli un monde qui, il y a un peu plus de cinquante ans seulement, vivait sans le savoir ses derniers instants. La grande communauté salonicienne retient en priorité l’attention des chercheurs. C’est dans ce cadre que les éditions Paratiritis et la fondation Ets-ha-Haïm de Salonique ont entrepris de rendre accessibles des documents et témoignages sur cette époque. Les Mémoires de Y. Yakoël s’inscrivent dans cette série. Né en 1899 à Trikala, il étudia le droit à Athènes pour ouvrir en 1923 avec son condisciple Asher Moïssis1 un cabinet d’avo-cats à Salonique qui rendit d’éminents services à la communauté en butte aux transformations imposées par le nouvel Etat grec durant cette période d’adaptation difficile générée par le rattachement de la Thrace et de la Macédoine. | Par les services rendus, Yomtov Yakoël et Asher Moïssis s’avérèrent des personnalités de premier plan, ce qui permit à Y.Y. en particulier de devenir dès le début de l’occupation allemande en avril 1941 l’un des membres de la Commission Centrale, organisation qu’il créa lui-même comme une sorte de contre-pouvoir à l’inexpérience et à la soumission des chefs communautaires. C’est peu après le début des déportations que Y.Y. parvint à s’enfuir à Athènes où il entreprit la rédaction de son journal resté inachevé puisqu’il fut arrêté par la Gestapo le 22 décembre 1943, déporté à Auschwitz, intégré à un Sonderkommando puis exécuté. Asher Moïssis lui, réussit à s’éloigner d’Athènes durant la période critique, survécut et mourut en 19752. Le Journal de Yomtov Yacoël ne peut donc traiter que de la situation de la communauté salonicienne de 1941 à 1943. Par là même il est source essentielle d’informations sur les étapes de ce chemin vers l’anéantissement. En un grec savant et précis, il traite des conditions de vie, des relations avec les chrétiens et de l’attitude de ceux-ci, notamment au matin du 25 février 1943 lorsque les Juifs, contraints pour la première fois à porter l’étoile jaune, n’osent pas sortir de peur de réactions hostiles des chrétiens devant le port de ce signe distinctif. | Au contraire, Y.Y. observe majoritairement de la sympathie plutôt que de l’hostilité. Mais il étudie aussi l’antisémitisme de certaines notabilités et en fournit une bonne analyse historique. Le journal s’interrompt le 7 mars 1943. Que sait Yomtov Yacoël à ce moment du sort des déportés vers la mythique Cracovie ? F. Abatzopoulou, spécialiste reconnue du Juda-ïsme salonicien, essaie de nous éclairer sur cette question et conclut que, même si certaines rumeurs étaient parvenues à Athènes quant aux chambres à gaz et aux fours crématoires, il était si inconcevable qu’une telle barbarie soit possible dans l’Europe du XXème siècle qu’on n’accordait pas crédit à ces rumeurs. F.A. élargit également son étude à différents autres points cruciaux, tels que la responsabilité des chefs communautaires, la soi-disant passivité des Juifs face à la menace, les démarches de chrétiens pour leur venir en aide etc. Son travail de présentation complémentaire du document rédigé par Y.Y. constitue un ouvrage important et apporte une aide à la compréhension de cette question douloureuse et complexe. Bernard Pierron |
Mémoires, 1941-1943 - Yomtov Yakoël
En grec, à la Fondation Ets-ha-Haïm - Paratiritis, Salonique , odos Grégoire V - 1993