Parmi les ouvrages qu’Aharon Rousso a fait parvenir à la “Lettre Sépharade”1, et dont les thèmes ne peuvent qu’exciter l’intérêt de tout chercheur ou lecteur que captive l’histoire des Juifs de Grèce - et de l’Empire Ottoman - , mon choix s’est porté sur un travail extrêmement consistant que nous devons à Zvi Ankori et dont le titre Juifs et Grecs chrétiens à travers les âges était fort prometteur. Mon attente ne fut pas déçue, bien au contraire car ce livre de poche de 199 pages est une œuvre d’une densité telle qu’il m’est apparu vain et présomptueux de vouloir ici en offrir un compte rendu systématique qui en exprimât toute la richesse. C’était en effet risquer de trahir la pensée de l’auteur que de vouloir condenser un travail d’une telle ampleur : nous partons de l’époque d’Hadrien, lorsque Jérusalem devient Aelia Capitolina, nous croisons l’impératrice Hélène qui visita la ville et dont le fils Constantin ordonna l’érection du Saint-Sépulcre. Devenue cité sainte de la chrétienté, les juifs en furent alors expulsés et reçurent une autorisation d’entrée limitée au 9 Av2. Les relations judéo-grecques sont analysées durant toute la période de la domination byzantine dans le cinquième chapitre, fontamental, intitulé : “A l’intérieur de Byzance”. | Mais Zvi Ankori ne s’est pas limité à la vision historique des faits, il a également abordé les manifestations de l’antisémitisme byzantin politique et religieux, la littérature polémique, etc. Puis après nous avoir fait traverser cette longue période où se lève le croissant de l’islam, où les croisés tentent de libérer le tombeau du Christ, il nous mène avec assurance jusqu’à l’époque ottomane durant laquelle les communautés sépharades vont s’établir dans les Balkans et faire de Salonique la ville juive qu’elle restera jusqu’à son annexion par la Grèce en 1912. Le livre s’achève sur la Choah. Mais voici que je m’aperçois n’avoir quasiment rien dit sur l’ouvrage de Zvi Ankori, que je n’ai pas parlé de ses analyses des affinités et antagonismes des deux nations, que je n’ai soufflé mot sur l’importance territoriale et spirituelle d’Erets-Israël et de Jérusalem ni sur l’image judicieuse des “deux montagnes” - la montagne du Temple et le Golgotha - qui symbolisent si bien la dualité du judaïsme et du christianisme. Il ne me reste plus donc qu’à conseiller au spécialiste et même à l’amateur curieux d’avoir continuellement cet ouvrage à portée de la main. Mais malheureusement le fait qu’il soit publié en Israël et rédigé en hébreu en rend l’acquisition et l’accès difficiles pour la majorité des lecteurs que le sujet intéresse. | Une traduction au moins en français, en grec et en anglais s’imposerait donc. Encore un mot pour dire que ce livre qu’avait précédé l’indispensable Salonique, ville-mère en Israël (1967) est le premier (1984) d’une série intitulée “Les Juifs de Grèce à travers les âges” et qu’il est une publication de l’Université de Tel-Aviv. Six autres ouvrages qui avaient été promis ont suivi dans cette collection dont les promoteurs, auxquels il faut ici encore une fois rendre hommage, sont Aharon Rousso, Président co-fondateur de l’Institut pour la recherche sur le Judaïsme de Salonique, et Zvi Ankori, titulaire de la chaire d’Histoire et de Culture des Juifs de Salonique et de Grèce à l’université de Tel-Aviv. Dans l’introduction générale, tous deux affirment qu’il s’agit là de la concrétisation d’un rêve qui leur est commun et que leur objectif est d’apporter à “l’intellectuel auquel la compré-hension de l’histoire de son peuple tient à cœur” des éléments solides de réflexion. A mon avis, la collection a dépassé ce but et ne peut plus se limiter au cercle relativement restreint des intellectuels juifs hébréophones ; elle intéresse tout chercheur auquel la compréhension de l’histoire de l’humanité tient à cœur. Bernard Pierron |