Plus un Juif n’habite aujourd’hui à Gérone. Et pourtant.... quel somptueux passé le judaïsme n’a-t-il pas connu en cette capitale intellectuelle et spirituelle de la Catalogne ! Il est troublant de remarquer le nombre considérable d’études et travaux récents ou en cours sur cette identité juive catalane et présentement l’acharnement à essayer de reconstituer ce qui peut l’être encore1. Examinons un par un les facteurs incitatifs, encourageants : Tout d’abord le cadre géographique s’y prête : la vieille ville juive est parfaitement circonscrite. Le cadre documentaire est également favorable : les archives diverses ne sont pas toutes dépouillées et on trouve de nouveaux documents si peu que l’on cherche. Quoi qu’il en soit, la présence juive est
attestée avec certitude au 10ème siècle par un document trouvé aux archives de la cathédrale. Un second facteur est d’ordre topographique : la vieille ville de Gérone, fermée de murailles dont une partie subsiste, est dominée par sa cathédrale, bien en hauteur relativement à la rivière Onyar, proche pourtant. De telle sorte que le call est en forte déclivité à partir de la Carrer Força vaguement parallèle au cours d’eau et horizontale elle et que, selon les habitudes des siècles passés, on rebâtissait un immeuble ancien sur les vestiges d’un précédent éventuellement écroulé, particulièrement en des lieux difficiles d’accès. (A noter que cette Carrer Força , ruelle de trois mètres de large, constituait déjà le tracé urbain de la voie romaine Augusta. Incroyable pérennité des hauts lieux de civilisation...) Un quartier à la mode, ou....la ville change Un troisième facteur incitatif est d’ordre sociologique et récent : ce quartier aux ruelles fort étroites et aux bâtiments élevés a vu au cours des 19ème et 20ème siècles sa population changer. Habité traditionnellement par des gens à bon revenu il y a cent ou soixante ans encore, qui se sont déplacés vers des quartiers plus modernes, mieux ensoleillés et aérés, il a vu arriver des gens plus modestes et à bas revenus, incapables même d’entretenir ces immeubles défaillants. De sorte que durant les années 70 une nouvelle classe sociale faite d’architectes, de professions libérales etc. a racheté des immeubles en vue de leur réhabilitation. Ce retour vers le centre historique des villes s’observe partout en Europe d’ailleurs, maintenant que les moyens techniques à disposition permettent des prouesses. En 1975 un propriétaire, puis d’autres ont commencé des fouilles en soubassement dans le quartier, dégageant des pièces non accessibles depuis des siècles. Et dans le cadre voulu, maîtrisé, d’une réhabilitation générale du quartier, la mairie acheta elle-même en 1987 un vaste immeuble dans le pâté de maison constituant le centre du call. | Et nous en venons au quatrième facteur qui montre une fois de plus qu’un événement est constitué souvent de la rencontre entre une circonstance et une volonté. Quand le maire s’en mêle La circonstance est celle brossée plus haut. La volonté est celle d’un maire de forte carrure, Joaquim (Jordi) Nadal i Farreras, professeur d’Histoire en Faculté de son ancien état - ce qui ne nous étonne guère - et maire de Gérone depuis la fin du franquisme, élu à trente et un ans et réélu depuis. Jordi Nadal est très sensible au passé prestigieux de sa ville - près de cent mille habitants maintenant, plus de deux mille ans d’Histoire - et fort préoccupé d’assurer son développement dans une continuité culturelle. Il a réussi à y implanter une université en 1991. Il s’agit bien entendu du noyau important des cabalistes, dont le plus illustre est Moisès (Moshé) ben Nahman dit Nahmanides = Ramban, ou Bonastruc ça Porta en catalan, né sur place en 1194 et mort en Palestine en 1270. Autour du Ramban Autour de lui étudient et vaquent d’autres cabalistes, des poètes, des moralistes, de grands commerçants. Nahmanides se consacre à l’étude du Talmud, aux commentaires du Pentateuque et du livre de Job. Il est le représentant illustre du judaïsme local, sa réputation s’étend dans le monde juif et au delà et, après une controverse doctrinale devant le roi Jaume Ier, il est obligé, à soixante-douze ans, de s’exiler en Castille, puis en Provence, puis en Palestine où il meurt2. Son passage en Provence s’explique très bien car le groupe de Gérone était en relation constante avec Isaac el Cec, autre cabaliste, provençal celui-là, célèbre, et son groupe de Narbonne. Tout ce monde vivant dans un espace étroit, la vie proprement culturelle - et cultuelle bien évidemment - était concentrée en la synagogue. Les périodes de heurts succédaient aux moments de cohabitation plutôt harmonieuse, le call était ouvert ou fermé alternativement. Mais les massacres de 1391 - quarante morts - suivis de nombreuses conversions - une centaine - affaiblirent l’aljama. Trois synagogues Il semble qu’il y ait eu à Gérone trois synagogues successives au cours des siècles. La première, proche de la cathédrale, fréquentée probablement par Nahmanides (à l’empla-cement actuel du Musée d’Art ) et datant de la primitive installation des juifs dans la ville.La seconde, un peu plus au sud ,fut fermée et détruite vers 1415. Et la troisième, grande, bâtie au début du 15ème siècle nous ramène à notre propos. Car il est fort possible qu’elle se soit située à l’emplacement même de l’immeuble acquis par la mairie en 1987. On a retrouvé l’acte de vente par les conseils de l’aljama en 1492 au moment de l’expulsion, comportant une description détaillée des lieux : une école pour garçons, une école pour filles, les bains rituels , un hôpital. Les historiens, travaillant sur documents n’en sont pas certains. L’impor-tance des fouilles en cours n’en est que plus considérable3. | Le maître des lieux Pour résumer d’une boutade la situation actuelle, Jordi Nadal veut “ramener Ramban à Gérone”, assurer la continuité culturelle de sa ville, dont les éléments immeubles sont là. D’où la création récente d’une Fondation “Patronat Call de Girona” liée à un réseau américain qui aide au financement, ayant pour objectifs de : - restaurer le call par moyens propres concernant l’immeuble acquis, et par incitation de proche en proche sur les propriétaires voisins dans le cadre d’une zone d’aménagement concerté. - créer un Musée historique des Juifs de Catalogne ainsi qu’ - un Centre de Recherches et d’Etudes sur Nahmànides, tout ceci dans l’immeuble dont l’entrée provisoire actuelle est située Carrer Sant Llorens, appelé : Centre Bonastruc ça Porta Ce Centre est présentement géré, en quotidienne collaboration avec Jordi Nadal par l’une de ses anciennes élèves d’Histoire à la Faculté de Barcelone : Assumpció Hosta i Rebés dont la compétence, la motivation et l’engagement sont admirables. C’est une œuvre collective stimulante, entreprise par une équipe pluridisciplinaire comprenant archéologues, historiens, spécia-listes du judaïsme, architectes et gestionnaires. Il s’agit d’un grand et beau projet, ainsi que d’un geste espagnol en direction des Sépharades dispersés de par le monde. C’est à nous de montrer notre intérêt. Demandez à Assumpció Hosta un dossier vous expliquant comment vous pouvez aider à financer. Surtout, n’hésitez pas à aller voir, si l’été vous porte dans la région : Gérone est à une demi-heure de route de Perpignan ! Patronat “Call de Girona”, Carrer Sant Llorens. E - 17004 - Girona Brèves |