Editions du Cerf, Paris 1993
Le premier intérêt de cet important ouvrage réside dans la perspective inhabituelle, car transversale, qu’il porte sur la vie quotidienne de communautés diverses, essentiellement du monde méditerranéen, mais pas seulement. Vingt années de travail et de réflexion sont condensées là pour nous initier à cette idée de réseaux informels comportant des nœuds - des centres - et des liens - des liaisons - autorisant la circulation de l’information et d’une certaine manière l’unicité profonde du judaïsme. Une comparaison vient à l’esprit pour éclairer le propos . Le monde moderne des ordinateurs et de leur interconnexion en offre une assez bonne image . En effet, si l’ordinateur stocke la mémoire celle-ci circule, diffusée par le biais des interconnexions. Tel était le monde juif décrit par Gérard Nahon avec ses centres plus ou moins influents selon les époques. | Et l’originalité de la vision - c’est là un autre point fort de cet ouvrage - réside encore en ceci qu’elle éclaire plus les continuités que les ruptures : le rayonnant foyer talmudique de Kairouan au 11ème siècle, jusqu’au milieu du 12ème, plutôt que les massacres de 1391 en Espagne. Mais il devient évident, à suivre l’auteur dans son itinéraire passionnant, que les ruptures brutales - hélas, l’histoire des Juifs n’en manque pas - conduisent à la re-création de nouveaux réseaux, que c’est 1497 au Portugal qui créera la prépondérance d’Amsterdam un siècle plus tard etc. Et Amsterdam elle-même, riche, diffusera des connaissances et de l’argent vers Venise et Constantinople, Safed et Jérusalem. La prodigieuse expansion du séphardisme au 17ème siècle à Amsterdam y est étudiée de près, dans une ville qui n’abritait pas de Juifs quelques décennies auparavant. L’accrois-sement parallèle du nombre d’Ashkénazes, moins étudié jusqu’ici, est patent aussi. | Pour revenir à notre comparaison, ici les réseaux sont créés par des hommes, souvent des émissaires dont Gérard Nahon connait les noms, qu’il nous décrit dans leur quotidien, et le récit n’en est que plus attachant. Nous apprenons par exemple comment Ephraïm Nabon, de Hébron et Abraham Eliézer Lévy, de Safed, sont à Bayonne le 23 janvier 1797, munis de pouvoirs écrits, pour collecter de l’argent permettant à des sages de leurs villes respectives la poursuite de l’étude du Talmud. Depuis longtemps déjà, ces villes et Jérusalem sont les centres de l’étude et de la réflexion, qui assureront la pérennité du judaïsme au travers de toutes ses vicissitudes. Un ouvrage singulièrement éclairant et fourmillant de détails inédits. |