Nous avions entrepris, dans le numéro 7 de la «LS», de rappeler l’importance de ce médecin sénateur espagnol du début du présent siècle dans le regain d’intérêt de bien des chercheurs et auteurs pour cette civilisation judéo-espagnole des Balkans et du Maroc dont les Espagnols eux-mêmes avaient oublié - ou occulté - l’existence. Nous avions donc pour cela reproduit le début d’une conférence offerte par notre ami Albert de Vidas au Centre Sépharade de Montréal le 3 mars 1992. Et nous poursuivons le récit, assorti de quelques considérations historiques , toujours sur la trame de cette conférence à Montréal d’Albert de Vidas. Dans le cours du 19ème siècle et bien curieusement, la question juive se pose pour tous les partis politiques et devient un thème de leurs campagnes électorales bien qu’en apparence il n’y ait pas de Juifs en Espagne. Nombre de politiciens restent accusés d’avoir du sang juif dans les veines” - ce qui n’est pas pour surprendre.... D’autres sont notoirement antisémites et fanatiques, et même les Libéraux n’arrivaient pas à se débarrasser de quelques idées absurdes, inculquées et réactivées de génération en génération. Mais l’établissement de la liberté de conscience était aussi un thème à l’ordre du jour. Vers la fin du 19ème siècle, dans une période de relative stabilité politique, l’Espagne put à nouveau se tourner vers la Méditerranée pour tenter d’ y accroître son influence. En 1881, le comte de Rascon, ambassadeur d’Espagne à Constantinople, fit parvenir à son ministre, marquis de la Vega Armijo, un rapport circonstancié sur les Sépharades hispanophones de l’empire ottoman, constituant selon lui un “marché” culturel et commercial à ne pas négliger. | Il presse Madrid sur la question des écoles à ouvrir sur place pour balancer l’influence francophone de celles de l’Alliance ou autres. Et cette préservation linguistique du patrimoine espagnol deviendra la cause quasi personnelle, passionnelle, du docteur Pulido, bien difficile à défendre dans l’indifférence des pouvoirs publics ! Prenant la parole au Sénat le 13 novembre 1903, il mit en cause l’indifférence du gouvernement, concluant que si rien n’était fait, le français en une génération aurait remplacé l’espagnol chez les Sépharades ; il conclut : “Esta el gobierno español en el caso de mirar con indiferencia, con desden absoluto este asunto, o esta en el caso de hacer algo ?” Et sans attendre une réponse gouvernementale qui en effet ne viendra jamais, il prit l’initiative d’expédier lui-même un questionnaire aux dirigeants des communautés sépharades à travers le monde, leur demandant de décrire les activités culturelles, sociales et économiques de leurs membres. C’est en se basant sur leurs réponses que Pulido rédigea et publia en 1905 son livre : «Españoles sin patria y la raza sefardita» C’est un bon reflet des communautés sépharades de l’époque à travers la Méditerranée orientale et le Maroc. A travers les courriers reçus, Pulido explique à ses compatriotes que l’opinion des Sépharades sur son pays en est souvent restée à l’image de Torquemada. Réciproquement il s’interroge sur le manque de connaissance de ses compatriotes sur ces Sépharades oubliés. | Il souleva peu d’intérêt, mais il se développa tout de même une controverse sur la langue, le djudezmo chez les Sépharades eux-mêmes, pour lesquels, souvent, le Progrès, les Lumières, passaient par la connaissance du français, et non celle de leur propre langue ! La presse sur place prit parti pour le français, ou pour le retour au castillan, ou pour la connaissance de l’hébreu, ou celle du turc. Les ouvertures de Pulido, non appuyé par son gouvernement, n’eurent guère d’effet pratique, reçues avec peu d’enthousiasme. Le fait que l’édit d’expulsion n’était toujours pas abrogé n’incitait pas nécessairement à une réconciliation avec l’Espagne ! Au fond, rien n’est venu finalement, et Angel Pulido, s’il doit être reconnu comme le champion de la cause sépharade, s’étant dévoué avec acharnement à prôner dans les faits la réconciliation , a échoué. La moitié des Sépharades hispanophones ont disparu dans la Choah, nombre de consuls et ambassadeurs espagnols s’étant efforcés, jusqu’à prise de risques pour eux-mêmes d’en sauver, avec succès parfois1. Après les célébrations parfois un peu agaçantes du cinquième centenaire de l’expulsion d’Espagne, et un geste positif du roi Carlos, le mouvement d’intérêt semble retomber. (reprenons les termes mêmes de la conclusion d’Albert de Vidas :) L’Espagne, pour nous convaincre de sa sincérité, devra maintenir le dialogue après 1992. Les nations hispaniques croient beaucoup au symbolisme, et les Sépharades sont les plus symboliques des peuples hispaniques. |