Lui aussi, Francisco, cherche ! Il vit en France ; il est né à Madrid et sa famille, - des Gonzalo, Fanlo, Gaya, La Puente, - venait de Burgos, Valladolid, Medina del Rio Seco, Zamora, Salamanque, Calatayud, Fuente del Ebro (où se trouvait une importante juderia ). Il essaie de trouver ses origines juives, mais “ne trouve rien du tout”. Pourtant il s’est toujours senti une attirance et une appartenance au judaïsme.
Ecoutons-le:
La grand-mère de Francisco «Maintenant, à soixante sept ans, je me souviens de ma grand-mère, là-bas en Espagne, parlant de Calatayud: - Nous, nous habitions dans la juderia. Lorsqu’arrivait avril, elle était toujours en train de cacher des choses ; tout ce qui était de la farine elle le mettait dans un cabanon, elle ne voulait plus voir ça. Au mois d’août elle avait envie de manger des cendres, avec des pommes de terre qu’elle posait par terre dans des trous remplis de charbon de bois et cendres, et qui cuisaient lentement deux ou trois jours. Et aussi elle allumait des chandelles et les mettait sous le lit ; il y en avait une qui était tout le temps allumée, et chaque jour elle en allumait une de plus.... - Que fais-tu, grand-mère ? - C’est parce qu’il fait très froid. On avait peur qu’elle fasse brûler la chambre...! Quand elle sortait, elle avait l’habitude de toucher la porte et elle s’embrassait les doigts. On lui dit un jour :”les gens te regardent quand tu fais ça!”. Après, elle avait mis une table près de la porte, elle avait fait un trou dans la table et, dedans elle avait mis une bible et elle touchait par le trou, c’était sa mezouza , personne ne la voyait. Ma grand-mère affirmait :”On ne doit pas dire Dios, parce que cela signifierait qu’ils étaient trois, le père, le fils et le saint-esprit, alors que Dieu est un (Dio es no màs que uno ) En Aragon on tue le cochon, mais ni mon père ni mon grand-père ni ma grand-mère je ne les ai vus le faire ; au bout d’un moment, ma grand-mère se débarrassait du jambon “dans celui-là il y a de la trichine !” Elle ne mangeait jamais de jambon, n’allait jamais à la messe. ...et son cousin Poète au Mexique, il était hanté par le judaïsme, son histoire sacrée était celle d’Israël. Aux alentours de 1934/1936, il me parlait du Talmud et de la Bible. Comme Chouraqui, il a tenté une synthèse, une entente entre les religions. Pour lui, un bois a été planté en Israël , offert par le gouvernement israélien en 1967. | L’Union sefardi de Mexico lui a rendu un hommage posthume, le Keren Kayemet aussi. Ce cousin s’appelait Don Leon Felipe Camino de la Rosa y Galicia. Ce nom vient d’ancêtres qui s’appelaient Rozenweg. On ne peut pas le circoncire. Dans ma famille, on racontait qu’un des ancêtres, à Calatayud, s’appelait Chinillo mais qu’il avait changé de nom parce que s’il ne l’avait pas fait, il n’aurait pas été un bon catholique et il s’est appelé Luis de Santangel. Ensuite, il avait été percepteur et homme d’influence, il avait connu Cristobal Colon dont les parents étaient de Calatayud eux aussi, et serait même parti à Gênes. Mon grand-père maternel et tous ses ancêtres avaient été percepteurs et trésoriers des rois catholiques et seraient des descendants de ce fameux Luis de Santangel devenu catholique pour échapper à l’Inquisition. J’entends encore mon grand-père dire à ma grand-mère : “Vaya, Lorenza, pues de Purim, platicos” quand les choses n’arrivaient pas au bon moment. Je me rappelle ma grand-mère paternelle me racontant pour m’endormir un conte : “Mi padre compro por dos perricas un corderito....vino el gato e se lo comio, vino el perro y se comio el gato....” Et seulement il y a quelques années j’ai découvert qu’il s’agissait de la Haggadah de Pessah ! Je crois que dans ma famille, il a existé une continuité par les mariages entre nouveaux-chrétiens. Mon père et ma mère discutaient à propos de ma circoncision. Ma mère, qui avait une peur panique des microbes, disait “Non, non, non, on ne peut pas à cause de l’infection”. Ça a duré jusqu’à mes cinq ou six ans et j’avais une peur terrible ! Devenu adulte, j’ai oublié parce que j’avais honte de parler de ces choses-là. Je me souviens de la raison pour laquelle je suis venu en France en 1960, lorsque mon fils fut en âge d’aller à l’école franquiste ; ces gens disaient “Les Juifs, c’est le pire car ils ont tué le Christ, ils se réunissent dans des lieux secrets et tuent les enfants pour boire leur sang”. Mon père et ma mère ne pouvaient pas voir les curés, ils n’allaient pas à la messe, ils étaient agnostiques, contre la Phalange, ils étaient libre-penseurs. | Le dernier des Mohicans. Lorsque mon fils a eu cinq ou six ans, vers 1960, je ne voulais pas qu’il étudie en Espagne, parce que le communisme, le judaïsme étaient des délits, c’était l’Inquisition, je la vivais au fond de moi, encore et toujours. Les poids cumulés du catholicisme et du franquisme étaient trop lourds à porter pour moi. Franco avait créé le tribunal des delitos judeo masònicos y comunistas . Alors je suis venu en France. Ma fille est née en France, elle n’est pas baptisée, elle fera ce qu’elle voudra. J’ai une tante qui vit à Burgos et s’est mariée à un noble, un marquis ; ma soeur était duchesse. Et moi j’étais rejeté, j’étais le dernier des Mohicans. Pourquoi est-on juif par sa mère, c’est injuste ! Quand j’ai voulu comprendre ma grand-mère, j’ai fait des recherches, j’ai découvert le Centre Rachi avec un article sur l’expulsion des Juifs d’Espagne. J’avais déjà étudié un peu auparavant: Ashkénazes, Sépharades... Et là, au Centre Rachi, je vois une dame qui parle et ça m’enchante, elle parle des Espagnols, et ça me rappelle mon père qui m’avait dit : “Rappelle-toi ceci : en 1492, beaucoup d’Espagnols quittèrent l’Espagne parce qu’ils n’étaient pas catholiques et ceux-là parlaient le vrai espagnol”. Je me suis souvenu de cela. Et cette dame dit les mots que m’avait dits mon père. Elle dit “agora “, c’était Sarica... Mais je me demande si on ne me prendra pas à Vidas Largas pour un intrus ! La première fois que je suis venu ici1 je croyais que j’étais en train de cambrioler quelque chose. A la synagogue, je me sens bien ; à l’église, je ne vais jamais, y éprouvant un sentiment d’incohérence... Il est une forte dimension sacrée, religieuse, en moi depuis quelques années. Ma femme me demande ce qu’est cette manie, ces rapprochements que je fais depuis trois ou quatre ans. Quand je suis en France, je rêve de l’Espagne. Quand je suis en Espagne, je rêve de la France. Je ne sais pas où aller... » Restez là encore longtemps avec nous, Francisco, vous êtes notre frère.... Entretien recueilli par Mireille Mazoyer, au Centre Rachi, en 1993. |