La pression des plus jeunes est pour..., et comme l’avenir est à eux....., traduisons donc !
Il y a maintenant quatre ans que les fascistes bulgares ont à la bouche ces paroles horribles : “Les juifs sont les gens les plus détestables de cette terre, cause de tout le mal en ce monde. Ils vont voir maintenant de quel bois nous nous chauffons (littéralement : de quel bois est faite la cuiller )” Commerces et écoles fermés, étoiles jaunes pendues aux vêtements, les hommes dans les camps et dans la montagne où on les écrase de travaux aussi lourds qu’inutiles. La guerre continue. Russes et Allemands se battent sans pitié. Mais dans cette énorme bagarre, les Russes réussissent à jeter les Allemands hors de leur territoire, arrivant à la frontière roumano-bulgare. La radio bulgare diffuse des nouvelles à chaque instant, plus alarmantes les unes que les autres. Les Allemands s’enfuient, pieds nus et tirent vers l’arrière. Que va sortir de tout cela? Personne ne peut rien dire. Les hommes juifs sont toujours dans les camps, travaillant comme des damnés... Bien que Staline ait demandé au gouvernement bulgare que le chemin de la retraite par la Bulgarie soit fermé aux Allemands qui refluent, le gouvernement ne fait rien, et même démissionne. De cette manière, la Bulgarie est sans gouvernement. Tolboukhine - un général de l’armée russe - reçoit alors l’ordre d’entrer dans le pays pour en chasser les Allemands. Tanks, auto-mitrailleuses, soldats en armes avancent. Une partie du peuple bulgare, en sympathie avec les Russes, sort dans la rue, et les reçoit en libérateurs. Une fois déjà par le passé, les Russes libérèrent le pays des Turcs, occupants durant cinq cents ans, et maintenant, pour la seconde fois, le Russe libère la Bulgarie des hitléro-nazis. Dans les rues et les marchés, c’est l’explosion. L’armée russe défile, de plus en plus nombreuse, il n’y a plus de place pour mettre un pied dehors. | La première idée qui passe par l’esprit de mon vénéré père, devant tous ces bouleversements, est de courir au marché pour ouvrir sa boutique. Elle a été assez fermée durant ces trois ans... Il a un pincement au coeur en mettant la clé dans la serrure. La boutique est vide, et un air empesté s’en échappe. Il laisse la porte ouverte, pour aérer. Aussitôt, deux soldats russes entrent et lui demandent s’il peut leur vendre cigarettes et allumettes,”sigarettes i spitchka” en russe. Mon vénéré père comprend le message. Cela lui donne l’idée que s’il ne vendait même qu’aux soldats russes, cela lui suffirait. Les soldats sont généreux et dépensent sans compter. L’argent vaut moins que la vie. L’armée russe entre dans la Bulgarie entière, en deux jours à peine. Dans les maisons juives, les préparatifs s’achèvent. C’est le Jour de l’An/Rochachana. A quatre heures de l’après-midi, ma mère me demande d’aller à la boutique prier mon père de ne pas rentrer tard, parce que c’est la soirée de Rochachana et qu’il faut aller à la synagogue pour la prière. Le temps même qu’elle me le dise, je saute et sors dans la rue, passant devant le café des Turcs, vide, puis l’école turque et, arrivée au coin pour tourner, je me trouve face à face avec un soldat russe, une grosse arme à la main. Il me dit : | Je puis vous dire que mon père fut le seul effrayé. Ma mère reçut le soldat avec beaucoup de soin, de toute son âme et avec tout son coeur. Mais maintenant, il ne sait pas si elles sont toujours vivantes parce que les Allemands occupèrent sa ville et y tuèrent de nombreux juifs. “Moi, il y a deux ans que je fais la guerre” D’une petite poche, avec deux doigts, il tire une photo et nous montre les trois femmes. Les larmes lui viennent aux yeux. Et à nous aussi. Entretemps, papa arrive. Il se lave, se change, s’habille; nous mangeons, et les deux hommes se préparent à aller au temple. Alyocha se lève, prend son arme. A l’instant même, ma mère lui demande de n’en rien faire. On ne va pas à la synagogue une arme à la main. Alyocha refuse de la laisser.”Je n’en ai pas le droit. Mon chef m’a accordé peu de temps de permission -deux heures - et je dois rentrer à la caserne en temps voulu. Je lui ai dit la vérité, où j’allais.” Voyant mon père arriver au temple avec un soldat russe, là aussi ils prirent peur. Alyocha reste dans l’entrée, allant et venant. Personne n’a jamais su combien de temps il est demeuré à écouter la prière de Rochachana depuis l’extérieur de la salle. Une chose est sûre : en sortant tous ensemble du temple, Alyocha - le soldat juif russe - n’était plus où mon père l’avait laissé. Il avait à jamais disparu de notre vision. Et dans nos coeurs il a laissé l’image douce et chaude d’un soldat russe cherchant ses racines. J.C. |